Leon
LEON
J’ouvris les yeux un beau matin, entre les pattes chaudes
et poilues de ma mère, une mamelle humide me chatouillant le nez. J’occupai mes
premiers jours dans le monde, à téter et à dormir. Puis ma mère me poussant et
me léchant, je fis quelques pas.
Je gambadai
bientôt tout autour d’elle, montant sur son dos, mordant ses pattes et ses
oreilles pour m’amuser. Au bout de quelques semaines, je mangeais tout seul.
Un jour, que je dormais sagement dans la paille, je fus
réveillé par des aboiements et des éclats de voix. Un homme s’approcha de moi
et ma première réaction fut d’aller me cacher derrière ma mère. La curiosité
l’emporta pourtant et timidement je m’approchai.
Il était grand, les cheveux grisonnants. Il s’agenouilla
près de moi et me tendit la main. Sa silhouette était entourée de bonté et de
gentillesse. Je léchai la main tendue et allai me blottir contre lui. Il me
prit dans ses bras, me caressant lentement. Une onde de bonheur et de chaleur
me parcourut. Je l’aimais déjà.
Il m’emmena dans sa Land Rover et je quittai ma mère sans
regret, une nouvelle vie s’ouvrait à moi.
Dans le petit village, à flanc de montagne, les maisons
grises, blotties les unes contre les autres dégageaient une odeur chaude d’été.
L’homme me déposa dans la paille de la grange, avec une petite caresse pour me
rassurer.
Un meuglement
soudain, me précipita dans les jambes de
mon maître, j’étais terrorisé. Il me calma avec des câlins, m’expliquant que
les monstres qui faisaient tant de bruits, alignés les uns à côté des autres, à
l’autre bout de l’étable, étaient des vaches et que désormais, elles seraient
mes compagnes.
Pour me consoler de ma frayeur, il m’apporta un grand bol
de lait. Un amour réciproque s’établit
entre l’homme et moi. Il m’apprit à guider les vaches vers le pré le matin,
et à les ramener vers l’étable, le soir.
Je veillais jalousement sur mon troupeau, restant parfois toute la journée,
là-bas près du « rio », somnolent, mais les sens en éveil.
Quelques fois, nous partions l’homme et moi, patrouiller
dans nos montagnes à la recherche de braconniers. Je débusquais les grillons et parfois
j’essayais d’attraper un isard, mais il sautait et gambadait bien plus vite que
moi, et je restais tout déconfit, sous le rire tonitruant de mon maître. Les
jours succédaient aux semaines, les mois aux années. L’homme et moi ne nous quittions jamais et
rien n’aurait dû nous séparer.
Insensiblement, je sentis mon compagnon faiblir. Les
balades furent plus courtes, plus espacées. Un jour, je conduisis mes vaches à
leur nouveau maître. En rentrant dans l’étable ce soir-là, je sentis un grand
vide et je sus que quelque chose venait de changer. Et puis les randonnées
cessèrent complètement. L’homme me regardait tristement. Il s’asseyait pendant
des heures, tentant de lutter contre l’inexorable. Je m’étendais à ses pieds,
le léchant doucement, essayant de lui insuffler un peu de ma force.
Un soir, il s’est couché et ne s’est plus relevé. J’ai vu
partir son âme, sachant que je ne pouvais la suivre.
Je m’appelle Léon et je suis chien.
MARGIE